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Titel
Ferdinand Lecomte 1826-1899. Un Vaudois témoin de la guerre de Sécession


Autor(en)
Auberson, David
Erschienen
Lausanne 2012: Bibliothèque historique vaudoise
Anzahl Seiten
223 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Pierre Jeanneret

Depuis quelques années, l’heureuse habitude s’est prise de publier les mémoires de licence les plus intéressants et les plus aptes à toucher un large public. Au moins, ainsi, ne dorment-ils plus dans le département des manuscrits des bibliothèques universitaires, avec le seul espoir d’être consultés par d’hypothétiques chercheurs. En Suisse romande, les éditions Antipodes de Lausanne et Alphil de Neuchâtel se sont spécialisées dans ce créneau. Cette fois-ci, c’est la Bibliothèque historique vaudoise qui a assuré la diffusion du travail de David Auberson. Ce jeune chercheur se distingue tant par sa rigueur dans le traitement des sources que par son esprit de synthèse, qualités servies, de surcroît, par une langue précise et élégante. La publication dont nous rendons compte ici a le mérite de sortir de l’ombre un personnage qui eut son heure de gloire, mais qui tomba vite dans l’oubli. Cette parution pourrait donc fort bien s’inscrire dans la fameuse collection, chez Fayard, consacrée aux «Inconnus de l’Histoire». La vie de Ferdinand Lecomte présente diverses facettes intéressantes, qui en font pleinement un homme de son temps. Radical «de gauche», adhérent de la société d’étudiants Helvétia qui incarnait cet idéal progressiste, il participa activement à la révolution vaudoise de 1845 et fut un pilier du radicalisme à l’époque des Druey, Delarageaz et Ruchonnet. A ce titre, il fut le fondateur du journal politique et satirique La Guêpe. Ses incontestables qualités personnelles, son ardeur au travail, mais aussi le «piston» politique lui permirent d’occuper diverses charges civiles de haut commis de l’Etat: bibliothécaire cantonal, chancelier de l’Etat de Vaud et secrétaire du Grand Conseil. Cependant, la grande affaire de sa vie fut sa passion pour la chose militaire. A juste titre, le Cercle démocratique de Lausanne et le Centre d’études et de prospective militaire lui ont consacré conjointement un riche colloque en décembre 2007, dans les locaux du Centre Général Guisan à Pully.

C’est précisément à sa carrière militaire, et plus particulièrement à son rôle de témoin de la guerre de Sécession, que David Auberson a consacré son travail. Un moment décisif dans l’existence de Lecomte est sa rencontre avec le général Antoine-Henri Jomini, célèbre stratège napoléonien passé au service du tsar. Curieuse proximité que celle qui unit les deux hommes, car Jomini, disciple de Joseph de Maistre et réactionnaire attaché à la monarchie absolue, ne partage nullement les convictions politiques de son disciple! Lecomte produira une vingtaine d’ouvrages, plus ou moins inspirés, consacrés aux grands conflits européens du XIXe siècle. Lui-même ressent très tôt l’appel des armes. Mais il semble que la grande frustration de sa vie fut de ne point connaître l’odeur enivrante de la poudre, le feu de la mitraille et les joies de la canonnade, bien qu’il cherchât à plusieurs reprises, vainement, à se défaire de son «pucelage militaire», comme l’écrit ironiquement Jean-Jacques Langendorf, préfacier du livre. Au moins la guerre de Sécession américaine lui permit-elle, sinon de vivre la guerre, du moins de l’observer en témoin. C’est à cette expérience qu’est consacrée la majeure partie du livre d’Auberson. Le lecteur appréciera d’abord son éclairante synthèse sur les rapports fraternels entre la Suisse radicale et la grande République américaine. La guerre civile qui déchire cette dernière n’oppose-t-elle pas, comme l’avait fait celle du Sonderbund, révolutionnaires et réactionnaires, régions industrialisées et régions agricoles? On lira aussi avec intérêt les pages consacrées à la participation au conflit de quelque 6000 volontaires suisses, notamment au sein d’une sorte de «brigade internationale» garibaldienne. Mais l’auteur se concentre surtout sur l’expérience personnelle de Lecomte. Ce dernier fait deux séjours aux Etats-Unis: le premier en 1862, alors que le Nord connaît des défaites et que son sort est incertain; le second en 1865, où il assiste aux derniers soubresauts du Sud, à la prise de Richmond et aux funérailles du président Lincoln assassiné. Notre homme est mû par des motivations diverses: d’un côté son espoir de faire progresser, par cette «mission» autoproclamée, sa propre carrière militaire (de fait, il parviendra au grade de colonel divisionnaire fédéral), de l’autre son idéalisme et sa détestation de l’esclavage. Il prend résolument position en faveur des Noirs et exprime le voeu que l’éducation permette la création d’une élite afro-américaine. Il s’insurge, par ailleurs, contre le «système d’extermination» qui décime les nations indiennes. Quant au témoin et analyste proprement dit, on relèvera notamment ses jugements, parfois sévères, sur les commandants successifs des forces de l’Union, MacClellan puis Grant, et surtout ses considérations sur les «machineries» et le «technisme» de cette guerre, souvent considérée comme la première des temps modernes: importance du télégraphe, du chemin de fer, du fusil à répétition se chargeant par la culasse, apparition du bateau cuirassé, etc. Lecomte consignera ses impressions dans sa monumentale Guerre de Sécession; esquisse des événements militaires et politiques des Etats-Unis de 1861 à 1865, dont la lecture reste digne d’intérêt. Il sera d’ailleurs toujours considéré par ses détracteurs comme un officier de bureau et de plume, plutôt que comme un meneur d’hommes…

En bref, l’ouvrage de David Auberson rend justice à un personnage complexe, à la fois lucide et naïf, idéaliste et arriviste, un acteur et un témoin de son temps.

Zitierweise:
Pierre Jeanneret: Rezension zu: David Auberson: Ferdinand Lecomte 1826–1899. Un vaudois témoin de la guerre de Sécession. Lausanne, Bibliothèque historique vaudoise, 2012. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 63 Nr. 1, 2013, S. 147-148.

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Zuerst veröffentlicht in

Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 63 Nr. 1, 2013, S. 147-148.

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